RUBÉN FUENTES Les rêves d'un arbre
Galerie Felli, 127 rue Vieille du Temple, Paris 75003
Vernissage jeudi 5 novembre 2020 (en ligne pour confinement en France)
Visite virtuelle: https://galeriefelli.com/visites-3d/
Exposition: 5 novembre - 1 décembre 2020
Édition d'un catalogue à l'occasion de cette exposition: textes de Paul Ardenne historien de l'art, commissaire d'exposition et écrivain / entretien par Carine Stahl-Tschudi, directrice du Musée de la Vallée de la Creuse.
Photographies: Alain Nahum
antérieurement: Musée de la Vallée de la Creuse, 2 rue de la Gare, 36270 Éguzon, France
Vernissage: samedi 7 mars, en présence de l'artiste
Exposition: 8 mars - 19 avril 2020
Galerie Felli, 127 rue Vieille du Temple, Paris 75003
Vernissage jeudi 5 novembre 2020 (en ligne pour confinement en France)
Visite virtuelle: https://galeriefelli.com/visites-3d/
Exposition: 5 novembre - 1 décembre 2020
Édition d'un catalogue à l'occasion de cette exposition: textes de Paul Ardenne historien de l'art, commissaire d'exposition et écrivain / entretien par Carine Stahl-Tschudi, directrice du Musée de la Vallée de la Creuse.
Photographies: Alain Nahum
antérieurement: Musée de la Vallée de la Creuse, 2 rue de la Gare, 36270 Éguzon, France
Vernissage: samedi 7 mars, en présence de l'artiste
Exposition: 8 mars - 19 avril 2020
Les rêves d'un arbre
Paul Ardenne
Peintre et dessinateur méticuleux, aux compositions toujours précises, Rubén Fuentes partage avec quelques fameux prédécesseurs un amour immodéré de l'arbre et des forêts. Après Jacob Ruysdael, après Frederic Edwin Church, après Piet Mondrian, après Alexandre Hollan, après ces peintres de Crozant qui, avant lui, ont puisé leur inspiration des bords boisés de la Creuse, ce jeune artiste cubain n'a de cesse de représenter l'arbre en majesté. Qu'il l'offre, à nos regards, solitaire, isolé, debout comme le fameux Arbre de Vie peuplant la Bible et maintes civilisations antémodernes, ou qu'il l'offre à nos yeux agglutiné, sous la forme de forêts primaires, de manière dense - une citation récurrente, on le pressent, de l'Amazonie ou des jungles africaines et asiatiques -, l'arbre est chez Rubén Fuentes, toujours, une figure privilégiée, une personne. Il est un "être", pour l'exprimer autrement, un Sein, dirait un philosophe phénoménologue, entité vivante dont présence, développement et préservation semblent à dire vrai plus importants que l'existence même des humains.
Le souci de la sylve
Significatif, à cet égard, est le tableau intitulé Le Jardinier. Un homme, guidant une barque dans le méandre d'un cours d'eau que jouxte une épaisse forêt, transporte dans son esquif un arbre mis en pot. Le résultat d'un arrachage ? On perçoit l'inverse, l'évocation d'un processus, plutôt, de replantation.
L'amour de Rubén Fuentes pour les arbres se nourrit sans conteste de nostalgie, il dissimule mal une inquiétude, une colère rentrée. Que montre son instante réquisition plastique de l'arbre ? Que la sylve que nous pourrions perdre, que la grande forêt mondiale que les assauts déforestiers de l'homme sont en passe de réduire à la portion congrue doivent être impérativement chéries, protégées, sauvées des appétits de l'exploitation irraisonnée et prédatrice. Mettre en scène la résilience des arbres, leur prolifération fait de l'art de Rubén Fuentes, sur le plan symbolique, une procédure écologique, un art qui a, étymologiquement parlant, le "souci de la demeure", de la maison commune. Sans arbres, pas de recapture suffisante du CO², pas de drainage des sols, pas d'ombre pour les espèces terrestres et de canopées pour les espèces célestes. Sans arbres, pas de ces forêts qui ont de tous temps fasciné les sages - ceux de la Chine médiévale, à travers l'école du paysage dite "montagne-eau", le ShanShui -, espaces boisés aujourd'hui plus que jamais devenus des lieux de revitalisation et de ressourcement pour la population de notre monde, urbanisée au-delà de toute raison.
Un art anthropofuge
Une peinture d'arbres, donc, que celle de Rubén Fuentes, mais pour signifier, non d'abord le souhait de la dominance régalienne de l'arbre mais l'espérance même de son extension et de sa préservation parmi l'ensemble des autres espèces naturelles.
Ce qui frappe avant tout, dans les travaux plastiques de Rubén Fuentes consacrés aux forêts, c'est bel et bien la rareté de l'être humain. L'expression de l'artiste est, comme on le dit de manière savante, "anthropofuge", littéralement, non perméable à l'homme, fermée à celui-ci. L'artiste cubain aime l'homme, dans ses tableaux, il ne consent à l'y mettre en scène que sous condition que ce dernier soit un ami des forêts et non un prédateur, et surtout qu'il ne prenne pas trop de place. Champ de bataille, de la sorte, est limpide. Regardons cette encre sur papier marouflé. S'y expose à nos regards de spectateurs une forêt en ligne de front, déployée dans l'horizontale comme une rangée de combattants. Le long de cette ligne, gisant à terre comme des soldats tués au combat, des troncs d'arbres. On ne trouve nul homme en ces lieux même si l'on devine bien qui est responsable de ce forfait de déforestation à grande échelle, déforestation de type industriel voyant les arbres tombés au sol réduits à l'espèce de troncs, comme les cadavres inanimés d'hommes à l'assaut qu'a fauchés la mitraille des forces adverses. La pulsion anthropofuge, chez Rubén Fuentes, est l'aveu conscient que l'homme n'est pas pour l'arbre, par les temps qui courent, une bonne affaire, un bon ami, un partenaire.
On voudrait s'autoriser, à ce stade de la présentation de cette peinture "arbresque", un parallèle esthétique. Lorsque l'américain Frederic Edwin Church, paysagiste majeur de la fameuse Hudson River School, peint en 1859 Le cœur des Andes, il omet sciemment de représenter en celui-ci des êtres humains. Une nature riche, luxuriante et arborée à profusion domine ce tableau qui n'a rien d'imaginaire, où le spécialiste en botanique peut reconnaître maintes espèces végétales andines. "Omet", pas exactement. Si l'on regarde de très près, l'on devine dans ce tableau la mention graphique d'une sépulture, qui sonne au demeurant bizarre : comme pour signifier que jeté dans cette nature si prodigieusement développée, l'homme n'a pas pu lutter et a été vaincu. On distingue aussi, très loin, minuscules et comme de second ordre, pas même anecdotique, quelques bâtiments. Ferme, monastère ? Impossible de le dire et, au demeurant, sans importance. Ce qui compte, dans ce Cœur des Andes ostensiblement végétal, c'est la Natura Naturans, la nature au travail et en constant développement. Dans un tel univers hors d'échelle, activité, vie et mort humaines sont accessoires, tout au plus. L'acrylique sur toile de Rubén Fuentes Contemplation de la mort d'un géant reprend cette métaphore, mais de façon plus radicale. Cette toile nous montre un personnage minuscule observer une rivière bordée d'une forêt. Il a pris position sur un promontoire naturel surplombant le paysage - une position, soit dit en passant, qui évoque un portrait photographique de l'artiste pris dans un endroit d'apparence similaire, au-dessus de la Creuse. À peine si l'on voit, de nouveau, ce témoin dans le tableau. Rubén Fuentes fait de celui-ci non un acteur destructeur mais un admirateur qui pourrait bien être un gardien. Notons, parce que c'est de la première importance, que la forêt qui fait face à ce voyageur contemplant une mer d'arbres, aurait pu dire le peintre Caspar David Friedrich, a pris une forme anthropomorphe, à l'image de l'homme, ce "géant" condamné à mourir s'il fait mourir les arbres. Que lire en cette œuvre ? L'irruption d'un homme redevenu éco-responsable pleinement conscient de ce qu'il doit à la nature et au vivant, et qui n'attend pas d'en spolier les richesses.
Réviser les alliances
L'essayiste Naomi Klein, dans son essai pro-écologie Tout peut changer - Capitalisme et changement climatique (2014), analyse finement les raisons pour lesquelles l'Occidental, de culture chrétienne, dilapide son capital naturel : parce que son Créateur, dixit la Bible, lui a laissé le monde en partage avec toute latitude d'en faire ce qu'il veut, sous condition de ce challenge, coloniser ce monde quoiqu'il en coûte. La vision de Rubén Fuentes prend le contrepied de cette position. Plus réaliste qu'imaginaire, elle met en scène de façon volontariste un nouveau paysage dont la configuration résulte d'un tout autre pacte, celui de l'alliance retrouvée. Pourquoi y a-t-il ici tant d'arbres et si peu d'humains ? Parce que l'homme a cessé d'être l'ennemi de l'arbre, définitivement, et que ce dernier, en conséquence, croît et se multiplie.
Paul Ardenne est écrivain et historien de l'art. Il est notamment l'auteur de l'ouvrage Un Art écologique - Création plasticienne et anthropocène (2018). Il a été en 2017 le commissaire de l'exposition Dendromorphies. Créer avec l'arbre (2016, Paris), consacrée à l'arbre dans l'art contemporain.
Paul Ardenne
Peintre et dessinateur méticuleux, aux compositions toujours précises, Rubén Fuentes partage avec quelques fameux prédécesseurs un amour immodéré de l'arbre et des forêts. Après Jacob Ruysdael, après Frederic Edwin Church, après Piet Mondrian, après Alexandre Hollan, après ces peintres de Crozant qui, avant lui, ont puisé leur inspiration des bords boisés de la Creuse, ce jeune artiste cubain n'a de cesse de représenter l'arbre en majesté. Qu'il l'offre, à nos regards, solitaire, isolé, debout comme le fameux Arbre de Vie peuplant la Bible et maintes civilisations antémodernes, ou qu'il l'offre à nos yeux agglutiné, sous la forme de forêts primaires, de manière dense - une citation récurrente, on le pressent, de l'Amazonie ou des jungles africaines et asiatiques -, l'arbre est chez Rubén Fuentes, toujours, une figure privilégiée, une personne. Il est un "être", pour l'exprimer autrement, un Sein, dirait un philosophe phénoménologue, entité vivante dont présence, développement et préservation semblent à dire vrai plus importants que l'existence même des humains.
Le souci de la sylve
Significatif, à cet égard, est le tableau intitulé Le Jardinier. Un homme, guidant une barque dans le méandre d'un cours d'eau que jouxte une épaisse forêt, transporte dans son esquif un arbre mis en pot. Le résultat d'un arrachage ? On perçoit l'inverse, l'évocation d'un processus, plutôt, de replantation.
L'amour de Rubén Fuentes pour les arbres se nourrit sans conteste de nostalgie, il dissimule mal une inquiétude, une colère rentrée. Que montre son instante réquisition plastique de l'arbre ? Que la sylve que nous pourrions perdre, que la grande forêt mondiale que les assauts déforestiers de l'homme sont en passe de réduire à la portion congrue doivent être impérativement chéries, protégées, sauvées des appétits de l'exploitation irraisonnée et prédatrice. Mettre en scène la résilience des arbres, leur prolifération fait de l'art de Rubén Fuentes, sur le plan symbolique, une procédure écologique, un art qui a, étymologiquement parlant, le "souci de la demeure", de la maison commune. Sans arbres, pas de recapture suffisante du CO², pas de drainage des sols, pas d'ombre pour les espèces terrestres et de canopées pour les espèces célestes. Sans arbres, pas de ces forêts qui ont de tous temps fasciné les sages - ceux de la Chine médiévale, à travers l'école du paysage dite "montagne-eau", le ShanShui -, espaces boisés aujourd'hui plus que jamais devenus des lieux de revitalisation et de ressourcement pour la population de notre monde, urbanisée au-delà de toute raison.
Un art anthropofuge
Une peinture d'arbres, donc, que celle de Rubén Fuentes, mais pour signifier, non d'abord le souhait de la dominance régalienne de l'arbre mais l'espérance même de son extension et de sa préservation parmi l'ensemble des autres espèces naturelles.
Ce qui frappe avant tout, dans les travaux plastiques de Rubén Fuentes consacrés aux forêts, c'est bel et bien la rareté de l'être humain. L'expression de l'artiste est, comme on le dit de manière savante, "anthropofuge", littéralement, non perméable à l'homme, fermée à celui-ci. L'artiste cubain aime l'homme, dans ses tableaux, il ne consent à l'y mettre en scène que sous condition que ce dernier soit un ami des forêts et non un prédateur, et surtout qu'il ne prenne pas trop de place. Champ de bataille, de la sorte, est limpide. Regardons cette encre sur papier marouflé. S'y expose à nos regards de spectateurs une forêt en ligne de front, déployée dans l'horizontale comme une rangée de combattants. Le long de cette ligne, gisant à terre comme des soldats tués au combat, des troncs d'arbres. On ne trouve nul homme en ces lieux même si l'on devine bien qui est responsable de ce forfait de déforestation à grande échelle, déforestation de type industriel voyant les arbres tombés au sol réduits à l'espèce de troncs, comme les cadavres inanimés d'hommes à l'assaut qu'a fauchés la mitraille des forces adverses. La pulsion anthropofuge, chez Rubén Fuentes, est l'aveu conscient que l'homme n'est pas pour l'arbre, par les temps qui courent, une bonne affaire, un bon ami, un partenaire.
On voudrait s'autoriser, à ce stade de la présentation de cette peinture "arbresque", un parallèle esthétique. Lorsque l'américain Frederic Edwin Church, paysagiste majeur de la fameuse Hudson River School, peint en 1859 Le cœur des Andes, il omet sciemment de représenter en celui-ci des êtres humains. Une nature riche, luxuriante et arborée à profusion domine ce tableau qui n'a rien d'imaginaire, où le spécialiste en botanique peut reconnaître maintes espèces végétales andines. "Omet", pas exactement. Si l'on regarde de très près, l'on devine dans ce tableau la mention graphique d'une sépulture, qui sonne au demeurant bizarre : comme pour signifier que jeté dans cette nature si prodigieusement développée, l'homme n'a pas pu lutter et a été vaincu. On distingue aussi, très loin, minuscules et comme de second ordre, pas même anecdotique, quelques bâtiments. Ferme, monastère ? Impossible de le dire et, au demeurant, sans importance. Ce qui compte, dans ce Cœur des Andes ostensiblement végétal, c'est la Natura Naturans, la nature au travail et en constant développement. Dans un tel univers hors d'échelle, activité, vie et mort humaines sont accessoires, tout au plus. L'acrylique sur toile de Rubén Fuentes Contemplation de la mort d'un géant reprend cette métaphore, mais de façon plus radicale. Cette toile nous montre un personnage minuscule observer une rivière bordée d'une forêt. Il a pris position sur un promontoire naturel surplombant le paysage - une position, soit dit en passant, qui évoque un portrait photographique de l'artiste pris dans un endroit d'apparence similaire, au-dessus de la Creuse. À peine si l'on voit, de nouveau, ce témoin dans le tableau. Rubén Fuentes fait de celui-ci non un acteur destructeur mais un admirateur qui pourrait bien être un gardien. Notons, parce que c'est de la première importance, que la forêt qui fait face à ce voyageur contemplant une mer d'arbres, aurait pu dire le peintre Caspar David Friedrich, a pris une forme anthropomorphe, à l'image de l'homme, ce "géant" condamné à mourir s'il fait mourir les arbres. Que lire en cette œuvre ? L'irruption d'un homme redevenu éco-responsable pleinement conscient de ce qu'il doit à la nature et au vivant, et qui n'attend pas d'en spolier les richesses.
Réviser les alliances
L'essayiste Naomi Klein, dans son essai pro-écologie Tout peut changer - Capitalisme et changement climatique (2014), analyse finement les raisons pour lesquelles l'Occidental, de culture chrétienne, dilapide son capital naturel : parce que son Créateur, dixit la Bible, lui a laissé le monde en partage avec toute latitude d'en faire ce qu'il veut, sous condition de ce challenge, coloniser ce monde quoiqu'il en coûte. La vision de Rubén Fuentes prend le contrepied de cette position. Plus réaliste qu'imaginaire, elle met en scène de façon volontariste un nouveau paysage dont la configuration résulte d'un tout autre pacte, celui de l'alliance retrouvée. Pourquoi y a-t-il ici tant d'arbres et si peu d'humains ? Parce que l'homme a cessé d'être l'ennemi de l'arbre, définitivement, et que ce dernier, en conséquence, croît et se multiplie.
Paul Ardenne est écrivain et historien de l'art. Il est notamment l'auteur de l'ouvrage Un Art écologique - Création plasticienne et anthropocène (2018). Il a été en 2017 le commissaire de l'exposition Dendromorphies. Créer avec l'arbre (2016, Paris), consacrée à l'arbre dans l'art contemporain.